10 août 2011
En dépit de son accession au pouvoir par les voies démocratiques, le président réprime la liberté des médias

Le Président Condé de Guinée censure les médias et ne tient aucun compte des lois progressistes de son prédécesseur sur les médias
STR New / Reuters
Le premier président de Guinée élu démocratiquement a survécu à une tentative d’assassinat le 19 juillet après que des individus armés eurent encerclé son domicile et l’eurent copieusement arrosé à l’arme lourde. Trois personnes ont été tuées dans deux attaques distinctes. Mais le Président Alpha Condé a immédiatement bâillonné les médias, leur interdisant toute couverture de l’attentat, une censure qui, selon les membres de l’IFEX, est emblématique de son mépris à l’égard des médias, en dépit de ses promesses d’un changement positif. En mai dernier, lors d’une mission d’exploration en Guinée, Reporters sans frontières (RSF) a constaté l’existence d’un paysage médiatique florissant entravé par des lois répressives sur les médias et des journalistes visés par les forces de sécurité et l’ingérence politique.
Selon la Fondation pour les médias en Afrique de l’Ouest (MFWA), le 26 juillet, l’organisme de régulation des médias de Guinée, le Conseil national des communications (CNC), a mis fin à la publication et à la radiodiffusion des nouvelles sur la tentative d’assassinat. La suspension couvre les émissions de tribunes téléphoniques à caractère politique sur les stations de radio et de télévision privées, en français et dans toutes les langues locales, où les auditeurs posaient des questions critiques sur l’attentat. L’interdit a été levé le 28 juillet, rapporte le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Mais le CNC s’ingère aussi dans les médias depuis quelques mois. En juin, il a imposé une suspension de deux mois au journal « Le Défi », qui a une attitude critique à l’égard du gouvernement Condé, selon ce que rapportent la MFWA et RSF. Le CNC lance souvent des avertissements aux stations de radio, indique le rapport de mission de RSF, qui fait remarquer que « certains craignent que le CNC veut faire rentrer certains médias dans le rang ».
L’un des attentats du mois dernier était dirigé par un combattant loyal au dirigeant de l’ancienne junte militaire, le capitaine Moussa « Dadis » Camara, déposé après avoir été atteint par des projectiles tirés par un garde du corps en décembre 2009, et qui a quitté le pays pour recevoir des soins médicaux, indiquent les dépêches. En septembre 2009, la Guinée a fait les manchettes internationales après que les hommes de Camara eurent massacré plus de 150 manifestants pro-démocratie et pourchassé les journalistes qui ont couvert le bain de sang. Camara vit actuellement en exil au Burkina Fasso.
Dans un retournement des choses à l’allure progressiste, après qu’il se fut emparé du pouvoir en Guinée en décembre 2009, le général Sékouba Konaté a adopté de nouvelles lois pour protéger la liberté des médias. Ces lois, promulguées en juin 2010, redéfinissent les pouvoirs des organismes de régulation des médias, indiquent comment leurs membres sont désignés, garantissent l’accès à l’information que possède le gouvernement, et dépénalisent les délits de presse. Après avoir accédé à la présidence, Konaté a accepté de tenir des élections libres et transparentes en novembre 2010, auxquelles il n’était pas candidat.
Toutefois, en dépit de cette politique de transition démocratique, menée par le Conseil national de transition (CNT), aucune des lois sur les médias n’a été mise en oeuvre depuis que Condé est devenu Président. La mission de RSF a constaté que « le blocage est dû à une erreur de rédaction dans un cas, à une erreur de procédure administrative dans un autre et, par-dessus tout, à de la résistance politique et judiciaire ».
Le pays compte plus de 30 journaux, autant de stations de radio privées, deux stations de télévision privées et un grand nombre de blogueurs et plus de 50 sites web. La radio bénéficie d’une réduction des restrictions à l’attribution des permis d’exploitation et est extrêmement populaire.
Mais la mission de RSF a aussi constaté que les journalistes se battent pour couvrir la nouvelle en raison de la répression des forces de sécurité. En avril, celles-ci ont empêché des journalistes de couvrir l’arrivée à Conakry du candidat malheureux à la présidence Cellou Dallein Diallo. Dans un autre incident, le 30 mai, une dizaine de bérets rouges brandissant leurs armes ont procédé à une descente dans les locaux du groupe de « L’Indépendant - Le Démocrate », qui appartient à Aboubacar Sylla, lequel a été ministre des communications de Konaté. Les bérets rouges étaient irrités par un article, publié quatre jours auparavant, qui critiquait l’augmentation de la solde des militaires.
Lors d’un autre incident survenu en mai, trois journalistes ont été démis de leur poste de présentateurs des nouvelles à la Radio Télévision Guinéenne (RTG). Bien des gens à Conakry pensent qu’ils ont été « sanctionnés à cause de leur soutien supposé au parti d’opposition pro-Diallo, l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG), et que la décision de les tasser avait été prise aux plus hauts échelons du gouvernement », dit le rapport de mission de RSF.
Mais la couverture de la politique du pays est inégale, indique le rapport : « la RTG a couvert quelques conférences de presse de l’UFDG mais n’a pas mentionné le retour de Diallo en Guinée ». Certains craignent que la RTG ne soit devenue une extension du gouvernement. Dans ses recommandations, la mission de RSF invite la RTG à être accessible à tous les partis politiques, et à refléter toute la société guinéenne.